PGE : la crainte d'une bombe à retardement
63 440 entreprises d’Occitanie ont à ce jour bénéficié d’un prêt garanti par l’État (PGE) pour un montant de 8,887 Md€. À l’approche du remboursement des premières échéances, face à une crise sanitaire et économique qui dure, le ministre de l’Économie annonce mi-janvier la possibilité de le reporter d’un an. « Selon nos premiers contacts, la plupart des entreprises vont rester dans le calendrier initial et commencer à rembourser », indique René Alary, président du Comité des banques de la fédération bancaire française de l’Hérault. Tout dépendra du secteur de l’entreprise et de l’état de sa trésorerie, poursuit-il, notant que « les artisans et les professionnels des CHR ont tendance à se saisir de ce décalage ». Ce sera le cas par exemple pour le groupe catalan RoussillHôtel : « Nous n’avons pas réellement de visibilité sur nos prochaines réouvertures, explique Xavier Lormand, le dirigeant. Notre PGE de 5 M€ nous permet de payer les charges fixes. Sans activité ni chiffre d’affaires, cette mesure nous permet de conserver nos 350 salariés. »
UN REPORT DE PRÉCAUTION
Du côté des syndicats patronaux, « notre recommandation est de garder tout ou partie de cette épargne de précaution, indique Sophie Garcia, présidente du Medef Occitanie. Rembourser sur quatre ou cinq ans, pour une entreprise viable, cela ne fait pas une grande différence .» Avec un bémol toutefois : « Si les grandes entreprises, entourées d’experts et de services financiers, sont capables de faire des projections, il n’en est pas de même pour les plus petites entreprises, souvent la tête dans le guidon. » Pour Grégory Blanvillain, président de la CPME 34, « dans un an, c’est l’ensemble des dettes de l’entreprise qu’il faudra considérer, pas seulement le PGE, avec un échéancier à long terme. L’impact d’une dette, selon sa durée d’amortisse- ment dans le temps, n’aura pas la même incidence en matière de cotation de la Banque de France ».
TAUX D’ENDETTEMENT
« Avec le PGE additionné aux autres lignes de crédit, le taux d’endettement des entreprises va exploser, poursuit Benjamin Chevalier, vice-président de la CPME 34. À tel point qu’il ne leur sera peut-être plus possible de s’endetter davantage pour des investissements à venir. » De fait, pour permettre aux entreprises de réinvestir et se prémunir de défauts de remboursement, certains voudraient transformer les PGE en quasi-fonds propres ou en prêt participatif. « Une excellente idée, estime Pierre Damien Rochette (Rochette industrie, 170 salariés, Béziers). Cela permettrait de réduire le taux d’endettement, indicateur clé des banques. » Cette piste est aussi jugée « très intéressante » par Sophie Garcia :« Avoir une participation publique dans les fonds propres est intéressant car l’inves- tisseur public est plus patient, moins contraignant. Cela peut rassurer les partenaires. Des fonds privés pourraient également être intéressés. » Mais le directeur régional de la Banque de France, Stéphane Latouche, l’assure : « Il n’y aura pas de transformation des PGE en fonds propres. Cette option n’est pas prévue. » Des propositions sont attendues courant février.
Témoignages : ce qu'ils vont faire de leur PGE
- « Nous déciderons fin mars si nous profitons de cette possibilité de reporter le remboursement »
Olivier Tichit, directeur financier du groupe viticole Advini (34)
« Fortement sollicité par les banques, nous avons souscrit en mai dernier un PGE de 20 M€, par précaution. L'idée est de le rembourser intégralement sans l'amortir. Nous ne l'avons pas consommé car nous avons au même moment réussi à restructurer notre dette. Via un refinancement sur sept ans de 255 M€, nous sommes désormais en mesure de poursuivre notre croissance en toute sécurité, via des acquisitions, mais aussi de faire face à la crise sanitaire. En fonction de l'activité, nous déciderons quand même fin mars si nous profitons, ou pas, de cette possibilité de reporter le remboursement du PGE d'un an. Ce début d'année est encore poussif avec les CHR qui restent fermés. »
- « Je suis en train de négocier avec mes banques »
Etienne Léa, dirigeant de l'entreprise industrielle Captels (30 salariés, 34)
« Le PGE, qui représente 15 % du CA N-1, a été partiellement consommé. Nous n’en avons pas eu besoin grâce aux aides de l’Etat : chômage partiel, reports de prêts et charges, des prélèvements Urssaf. Je suis en train de négocier avec mes banques, Banque Populaire et BNP, pour un report d’un an, donc en avril 2022, et un amortissement sur la durée maximum ».
-« Le report d'un an du remboursement du PGE est une bonne chose »
Xavier Lormand, dirigeant de Roussill’hôtel (350 salariés - 66)
« Le report d'un an du remboursement du PGE est une bonne chose car nous n’avons pas réellement de visibilité sur nos prochaines réouvertures. Nous avons obtenu 5 M€ au titre du PGE. Cette enveloppe nous permet de payer les charges fixes (salaires, électricité, le gardiennage, entretien…). Sans activité ni chiffre d’affaires, cette mesure nous permet de conserver nos 350 salariés. Nous n’avons pas licencié. Il faut que tous soient prêts à reprendre dans une bonne dynamique. Nous préférons nous appuyer sur nos partenaires bancaires, et non le PGE, pour poursuivre nos investissements. Actuellement, une trentaine de personnes s’activent au siège pour préparer les réouvertures que l’on espère autour du 6 avril. Nous pourrions alors rentrer dans une situation critique. »
- « Ce prêt nous a permis de retrouver une certaine visibilité financière et de stopper nos programmes d’austérité »
Jaime Arango, directeur financier de la biotech MedinCell (140 salariés – 34)
« Nous avons bénéficié de 13,7 M€ au titre du PGE. Une partie - 11,9 M€ - auprès de la Banque Populaire du Sud de la BNP en mai, et une autre - 1,8 M€ - entre fin juin et octobre auprès de la Caisse d’Épargne et de Bpifrance. Ce prêt nous a permis de retrouver une certaine visibilité financière et de stopper nos programmes d’austérité. Nous avons pu dire aux équipes “tout le monde gardera son travail“. Une partie du PGE a été consommée mais pas l’intégralité car nous avons également bouclé une augmentation de capital de 15,6 M€ en juin dernier. Le PGE nous a aidé pour cette opération qui a pu se dérouler dans de bonnes conditions car nous n’avions pas le couteau sous la gorge. »
- Nous n'avons pas totalement consommé l'enveloppe »
Hugues Moreau, dirigeant de Climavie (34)
« Savie, la filiale de Climavie dédiée au dépannage et à la maintenance en génie climatique (10 salariés), a obtenu un PGE de 150 k€. J’ai utilisé ce PGE pour investir dans la digitalisation pour faciliter les échanges de données, les contrats... Nous réfléchissions aussi à faire des vidéos de dépannage. L’enveloppe a aussi servi à faire évoluer la flotte de véhicules. Même, si nos projets ont bien avancé, nous n’avons pas totalement consommé cette enveloppe. »